R. Grimaldi et P. Pansu
RESUME : La fonction de remplissage d'une variété riemannienne est ou bien linéaire ou bien au moins quadratique. Cette observation remonte à M. Gromov en 1985. Est-ce la seule restriction ? Nous donnons un résultat partiel : Toute fonction suradditive et surquadratique est équivalente à la fonction de remplissage d'une surface de révolution. Une fonction qui satisfait de plus une inéquation du second ordre naturelle coïncide avec une fonction de remplissage.
ABSTRACT: The filling function of a Riemannian manifold
is either linear or at least quadratic. This fact was originally discovered
by M. Gromov in 1985. We address the question of the existence of further
obstructions. We give a partial answer: every superadditive and superquadratic
function is asymptotic to the filling function of a surface of revolution.
A function which furthermore satisfies a natural second order differential
inequation is equal to a filling function.
Soit M une variété riemannienne, soit c une
courbe fermée dans M. Son aire de remplissage (filling
area) est la borne inférieure des aires des disques dans M
dont le bord est c. Etant donné un réel positif L,
notons FillM(L) la borne supérieure des aires
de remplissage des courbes fermées dans M de longueur au
plus L. La fonction L->FillM(L) s'appelle la fonction
de remplissage de la variété riemannienne M.
Plus généralement, on peut parler d'aire de remplissage pour un cycle, i.e. une réunion de courbes fermées (on ne met aucune contrainte topologique sur les surfaces à bord en jeu). On note FillhM(L) la borne supérieure des aires de remplissage des cycles dans M de longueur au plus L. Cette fonction s'appelle fonction de remplissage homologique.
La fonction de remplissage riemannienne a été introduite par M. Gromov en lien avec la théorie des groupes. Lorsque M est le revêtement universel d'une variété compacte de groupe fondamental G, la fonction de remplissage de M est équivalente à la fonction de Dehn d'une présentation finie de G, qui mesure la complexité algorithmique du problème des mots dans G.
Dans [G1], M. Gromov a montré que si un groupe G de présentation finie a une fonction de Dehn sous-quadratique, alors G est hyperbolique, et sa fonction de Dehn est par conséquent linéaire. De nombreux auteurs ont généralisé ce résultat, [B], [O], [P]. L'énoncé suivant se trouve dans le livre de M. Bridson et A. Haefliger [BH] (dans un formulation un peu plus générale).
Théorème A : Soit M une variété
riemannienne, soit L->FillM(L) sa fonction de remplissage.
Si
Problème : Il y a t'il d'autres restrictions sur les fonctions
de remplissage riemanniennes ?
Une fonction de remplissage est croissante et au moins linéaire.
Nous pensons que ces deux propriétés élémentaires
et le théorème 1 sont les seules restrictions. Dans cet article,
nous donnons un résultat partiel dans cette direction.
Théorème 1 : Soit F:R+ -> R+ une fonction de classe Coo. On fait les hypothèses suivantes.
(i) F a la propriété de surmultiplicité, i.e. il existe L0 tel que pour tout L>L0, et pour tout entier n,
Alors il existe une surface de révolution M de classe Coo telle que pour L assez grand,
F(L) < FillM(L) < F(L)+L2.
Si F est de plus surquadratique, i.e.
limL->oo FillM(L)/F(L)=1.
Soit F une fonction de classe Coo sur R+
telle que
- pour tout L > 0, F'(L) > 0 ;
- F(0)=0, F''(0)=1/2pi et F se prolonge en
une fonction paire, de classe Coo, de R
dans R.
- liminfL->oo F(L)/L > 0.
Il existe une unique surface de révolution M=MF
(i.e. une métrique sur R2 de la forme
dr2+f(r)2dt2), telle
que la longueur d'un parallèle,
Par construction, FillM(L)>=F. L'inégalité
inverse s'obtient en remplissant chaque courbe par une modification du
cône de sommet l'origine sur cette courbe.
On sait, dans des cas particuliers, démontrer que cette propriété est vraie pour tout L. M. Ritoré [R] montre que si la courbure -f''/f est une fonction décroissante de r, alors tous les parallèles sont extrémaux (des résultats voisins se trouvent dans [BC], [HHM], [Pa], [T]). Noter que l'hypothèse de M. Ritore et al. correspond à l'inéquation du troisième ordre
qui n'est absolument pas nécessaire. Voici deux conditions nécessaires.
Proposition : Soit M une surface de révolution. Supposons que, dans M, pour L assez grand, les courbes extrémales pour le problème du remplissage sont les parallèles. Alors la fonction de remplissage F=FillM satisfait pour L assez grand l'inéquation différentielle
L3F''(L)/F'(L)3 <= 4pi2.
Si de plus F=FillhM coïncide avec la fonction de remplissage homologique, alors F est suradditive, i.e. il existe L0 tel que pour tous L, L'>L0,
En effet, cette inéquation signifie exactement que les parallèles
sont non seulement des points critiques de l'aire de remplissage à
longueur fixée, mais que ce sont des solutions stables, i.e. la
variation seconde de l'aire de remplissage à longueur fixée
est négative ou nulle. C'est donc une condition nécessaire
pour que les parallèles maximisent l'aire de remplissage à
longueur fixée. La suradditivité quant à elle résulte
de l'hypothèse qu'un parallèle fait mieux qu'une réunion
de parallèles. Nous montrons une sorte de réciproque.
Théorème 2 : Soit F:R+ -> R+ une fonction de classe Coo. On fait les hypothèses suivantes.
(i) F est suradditive, i.e. il existe L0 tel que pour tout L, L'>L0,
(ii) La dérivée F' est strictement surlinéaire, i.e.
limL->+oo F'(L)/L =+oo.
(iii)
Alors il existe une surface de révolution M de classe Coo telle que pour tout L assez grand,
FillM(L)= FillhM (L)=F(L).
Supposons que pour L assez grand, l'inéquation
(iii)e
est satisfaite avec e<1. Alors dans la surface MF,
chaque parallèle admet un voisinage dans l'espace des courbes fermées
dans lequel il est le seul point critique de l'aire de remplissage à
longueur fixée, i.e. la seule courbe fermée à courbure
géodésique constante.
Supposons la dérivée F' strictement surlinéaire.
On montre que pour L grand, le problème variationnel du remplissage
homologique des cycles admet une solution, un cycle dont chaque composante
c
est une courbe fermée simple à courbure géodésique
constante. Un argument de principe du maximum montre que l'intégrale
de la courbure géodésique de chaque composante c tend
vers 0 et que la largeur de l'anneau de révolution contenant c
est petite par rapport à la longueur de c. Par conséquent,
c
est suffisamment proche d'un parallèle, i.e. contenue dans un voisinage
qui ne contient qu'une courbe fermée à courbure constante,
le parallèle lui-même. On conclut que pour L assez
grand, les réunions de grands parallèles sont optimales pour
le problème de remplissage homologique. Si de plus F est
suradditive, les parallèles eux-mêmes sont optimaux, donc
la fonction de remplissage coïncide avec F.
Plus F croît vite, plus F
est proche d'une fonction qui satisfait l'inégalité (iii).
En effet, l'inégalité (iii) a, en termes de la surface
MF , une jolie interprétation physique. Elle signifie
que MF se plonge dans l'espace euclidien comme une surface
de révolution qui borde la réunion d'une famille de sphères
de même axe. Nous appelons de telles surfaces des
cornets de glace
(ice cream cones). Etant donnée une surface de révolution
MF dans l'espace dont la longueur des parallèles
est croissante, on considère la famille des sphères inscrites
dans MF . Son enveloppe est un cornet de glace asymptote
à MF . Cette discussion s'étend aux e-cornets
de glace, solutions de l'inéquation (iii)e. L'inégalité
de remplissage optimale établie pour les e-cornets de glace
(théorème 3) entraîne une inégalité de
remplissage approchée pour MF , d'autant meilleure
que F croît rapidement. Voici une conséquence,
parmi d'autres, de ce phénomène.
Théorème 3 : Soit F:R+ -> R+ une fonction de classe Coo. Pour n entier, on note
un = infL>=n 2pi F'(L)/L.
On fait les hypothèses suivantes.
(i) F est suradditive, i.e. il existe L0 tel que pour tout L, L'>L0,
(ii) La série de terme général n/un est convergente.
Alors il existe une surface de révolution M de classe Coo telle que pour tout L assez grand,
FillM(L)= FillhM (L)
et
1. Etant donné un cornet de glace M
, y a t'il d'autres conditions nécessaires (resp. suffisantes) pour
que les réunions de parallèles soient les solutions du problème
de remplissage homologique dans M ?
2. Les résultats obtenus ici apportent-ils un éclairage utile sur les fonctions de Dehn des groupes de présentation finie ? Ils semblent que celles-ci puissent être très diverses, voir par exemple [G2].