CHERCHEZ DONC UN CHERCHEUR
Une année : 2000, année des maths, c'est l'UNESCO qui l'a dit.
Une idée : dans l'air, elle était très perceptible en particulier aux journées de Nice. Les mathématiques sont partout dans le monde technologique qui nous entoure ; plus que jamais on a besoin d'elles pour comprendre le monde et le faire fonctionner. L'ennui, c'est que souvent elles sont là, mais le bon peuple l'ignore car il ne sait pas les voir. Il laisse même je ne sais quel quidam dire tout haut que bientôt, on n'en aura plus besoin du tout puisque les ordinateurs feront le travail. Et le bon peuple, lui, ne voit pas qu'un ordinateur, çà ne fait que ce qu'on lui dit de faire et que tes machines, ballot, il faut avoir appris des mathématiques pour être capable de les programmer.
Une deuxième idée : le bon peuple, toujours lui, et ses
représentants de petite taille qui passent entre nos mains, pensent
souvent les mathématiques comme une discipline achevée, qui
n'a pas bougé depuis 2000 ans justement. Alors qu'il n'y a jamais
eu autant de mathématiciens à l'oeuvre sur la planète
et qu'on bat tous les records en théorèmes/années.
Il faudrait que nos têtes blondes puissent dire : le mathématicien
existe, je l'ai rencontré. C'est quand même plus facile avec
un mathématicien qu'avec d'autres catégories de personnel.
Un algorithme : Placez-vous avec ces deux idées, dans l'année
en question, et construisez un collège à une demi-heure à
pied d'un respectable laboratoire de mathématiques d'une université
de la région parisienne. Mettez dans le collège une classe
de sixième débordante d'enthousiasme et dans le laboratoire
un directeur qui prend très au sérieux les directives de
l'UNESCO (pas vraiment parce que ce sont des directives, mais parce que
çà lui semble une affaire importante). Organisez une rencontre
entre ces deux éléments avec comme objectif de mettre en
lumière les deux idées ci-dessus.
Je peux presque vous le promettre : vous allez bien vous amuser, les
petits et les grands vont apprendre et comprendre des choses et vous reviendrez
avec le chaud sentiment d'avoir par vos actes fait progresser vos idées.
Si ce n'était pas le cas, recommencez en 2001. Si c'était
le cas, vous pouvez recommencer en 2001 quand même.
Pour ceux d'entre vous que mon préambule aurait laissés
perplexes, je veux bien essayer de décrire de façon un peu
plus précise un exemple vécu.
Prof en collège à Orsay et responsable d'une classe de
6ème avec un projet « culture scientifique » sur l'année,
j'ai reçu, comme tous les profs du secteur, des propositions de
collaboration venant des universitaires de mathématiques de la fac.
J'ai répondu que j'étais preneur (preneure, diraient les
copines de femmes et maths ?) d'un exposé qui mettrait en lumière
la première des idées ci-dessus, et qui permettrait en prime
aux élèves de rencontrer cette drôle de bête
non fossilisée qui s'appelle un mathématicien professionnel.
Pierre Pansu et ses collègues ont relevé ce défi
et ont trouvé un thème qui répondait parfaitement
à mes préoccupations et à la portée d'élèves
de sixième : comment construit-on des courbes, depuis les débuts
de l'histoire jusqu'à nos jours, sur les ordinateurs.
La rencontre s'est déroulée en trois phases.
Monsieur Pansu est venu au collège pendant une heure de cours.
Il a présenté des exemples divers de courbes architecturales
(de Fort-Boyard- nul- des segments et deux demi-cercles, au Colisée-
une vraie ellipse- ils sont forts, ces romains) ou artistiques (Dürer).
Il a ensuite exhibé une collection d'objets à tracer des
courbes : gabarit divers, perroquets, serpent en fil de fer à courbure
réglable et un remarquable trace-ellipse de tableau home-made, basé
sur la méthode du jardinier, qui a produit son petit effet.
Ensuite, les élèves sont passés à la partie
« tracés ». A partir de feuillets sur lesquels étaient
dessinés trois segments consécutifs, nous leur avons expliqué
l'algorithme permettant d'esquisser la courbe de Bézier du polygone
tracé. Cet algorithme très simple permet de parvenir à
des résultats honorables en construisant seulement des milieux,
des quarts et des trois-quarts de segments.
La tâche technique s'est déroulée en classe, avec
le professeur, et a occupé une petite demi-heure. Chaque binôme
a réalisé sa courbe à partir d'un tracé exigeant
9 segments, quatre tracés de milieu, quatre tracés de «
quarts » et quatre tracés de « trois quarts ».
Par ailleurs, nous avons détourné un petit bout d'une
heure de vie scolaire pour élaborer une liste de questions-pour-un-chercheur.
Munis de nos courbes et de nos questions, nous nous sommes rendus alors
à la fac, pour un après-midi. Le travail a débuté
par la « correction » des courbes obtenues à l'aide
de calques réalisés sur ordinateur à partir des mêmes
polygones et avec le même algorithme (mais plus de points, bien sûr).
Ils ont alors vu le logiciel faire le même travail qu'eux, mais avec
plus de valeurs du paramètre (au lieu des trois valeurs 1/4, 1/2
et 3/4 qu'ils avaient utilisées, le tracé en utilisait beaucoup
plus). La visualisation des traits de construction leur permettait de vraiment
comprendre que la machine utilisait « leur » méthode,
et pouvait simplement en faire plus et plus vite, d'où son meilleur
résultat. Ils ont ensuite pu utiliser librement le logiciel pour
voir comment, en pilotant le polygone, on modifiait la courbe à
sa guise (ou presque ?)
Nous sommes alors passés à la démonstration d'un
logiciel professionnel de CAO (spectaculaire !), ayant bien plus de fonctionnalités
que le logiciel précédent, mais dont il n'était pas
difficile de sentir que les principes utilisés dans les tracés
de courbes n'étaient pas différents de ceux que nous venions
de comprendre.
Les enfants ont manifesté une application extrême et un
réel intérêt pour l'ensemble du travail et évidemment
un grand enthousiasme dans les moments où ils ont pu eux-mêmes
piloter l'un ou l'autre des logiciels.
Il leur est resté juste assez de temps pour la partie sociologique (on ne va pas dire zoologique) du travail, qui consistait à poser leurs questions, parfois attendues (vous étiez bon en maths quand vous étiez petits ? qu'est-ce que vous cherchez ?), parfois plus originales (les mathématiciens ont-ils des secrets ? avez-vous un patron ?) mais toujours pertinentes et auxquelles Monsieur Pansu a répondu avec sérieux et gentillesse.
Voilà notre exemple de collaboration, entre petits et grands, à la fois relativement léger dans la logistique et semble-t-il remarquablement efficace.
Alors, professeurs du secondaire, si vous habitez à moins de
500 km d'une ville universitaire, n'hésitez plus : lancez un appel
à collaboration à vos collègues chercheurs,
sur n'importe quel thème ou idée pourvu qu'il vous soit cher.
Il ne manque pas, dans les laboratoires de mathématiques, d'êtres
vivants, dotés d'un naturel actif et curieux, et conscients de la
nécessité d'oeuvrer pour la reproduction de l'espèce.