Université Paris Sud Février1999

Centre d’Orsay Mathématiques

 

Compte-rendu de la rencontre pédagogique entre enseignants de mathématiques

des lycées et de l’université organisées à Orsay le 03/02/1999, 14h-17h

Participants du secondaire : 24, venus de 16 lycées différents, certains n’étaient pas inscrits au stage (l’information avait été reçue dans les lycées) ; seulement 3 ou 4 avaient été présents à une des deux rencontres de l’année précédente.

Participants du supérieur : 5 (M.C. David, M. Déchamps, J.C. Léger, F. Menous, M. Rivier).

Première partie (1h)

Tour de table sur l’introduction de l’arithmétique dans l’enseignement de spécialité de mathématiques en terminale S (une vingtaine d’heures, l’autre partie de la spécialité concerne des transformations géométriques ; l’enseignement de spécialité est devenu largement indépendant du tronc commun de terminale).

Côté secondaire : On peut résumer par "c’est très intéressant mais très difficile". Il est très intéressant et très positif d’avoir des raisonnements à faire, mais il est très difficile de faire admettre aux élèves qu’il y a des fait " évidents " qu’il faut démontrer et qu’un énoncé de théorème doit être appris avec précision. Les élèves sont un peu perdus : une disjonction de cas, est-ce une preuve ? qu’est-ce que l’on a " le droit " d’admettre ? L’organisation de cet enseignement pose également problème : s’il peut être intégré aux 6h de l’enseignement de tronc commun d’une classe il est bien mieux perçu que lorsqu’il se déroule en 2h par semaine, avec des élèves de plusieurs classes.

Côté supérieur : Depuis quelques années nous commencions, en premier cycle MIAS et en CPGE MP, par un peu de logique, des quantificateurs et de théorie des ensembles, en utilisant l’arithmétique comme support. C’était un domaine nouveau pour la plupart des étudiants, particulièrement adapté à des raisonnements précis et courts à partir d’un nombre restreint de définitions. Nous "soupçonnons" les CPGE MP de recruter essentiellement des étudiants ayant fait la spécialité mathématiques. Par contre, en premier cycle à Orsay, d’après les statistiques des années précédentes, seulement 2/3 des étudiants inscrits en S1 MIAS ont suivi cette spécialité. Utiliser encore l’arithmétique comme support (8 à 12 heures) risque de ne pas être motivant pour ceux qui l’ont apprise auparavant et trop difficile pour les autres. D’où la nécessité de choisir un autre support où les connaissances seront davantage uniformes. Une première proposition (motivée aussi par le souci d’arriver " plus vite" à l’analyse, vu les récentes diminutions d’horaire) est l’étude de l’ensemble des nombres réels, d’où le choix du thème de cette journée.

Tour de table sur la suppression des mots "fonction continue" en terminale S  (oui, toutes les fonctions rencontrées sont dérivables !) : pratiquement tous les participants estiment cette suppression très gênante et pensent qu’elle introduit des difficultés supplémentaires à différents niveaux du programme (prolongements par continuité, primitives, …). Par ailleurs, dès la première, les élèves ont une idée intuitive de la continuité, à travers l’étude de propriétés des graphes de fonctions, retarder l’utilisation du mot "continue" ne facilite pas les études post-bac ! Quelques collègues pensent, au contraire, que les élèves ont si peu l’occasion de rencontrer des fonctions non continues que le mot devient un "ornement " inutile. Une question s’impose : si l’on aplanit toutes les difficultés, s’il n’y a jamais des contre-exemples à des propriétés énoncées, comment faire comprendre par la suite l’importance de vérifier des hypothèses pour appliquer un résultat ? (même si ce travail a été fait en géométrie au collège, il ne se transpose pas de façon évidente en analyse au lycée ou après).

Deuxième partie (1h) : discussion par groupes.

Troisième partie (1h) : synthèses.

ATELIER A. Ensembles de nombres, identités remarquables, racine carrée.

Animatrice : Marie-Claude David. (environ 8 participants)

Notions ensemblistes : C’est en seconde qu’on parle pour la première fois d’ensembles, les notions d’inclusion, d’intersection et de réunion ne sont pas étudiées en elles-mêmes mais abordées un peu en STI, en probabilités et pour l’étude des systèmes (première).

Ensembles de nombres : C’est en seconde que les nombres sont vus pour la première fois en ensembles. La distinction entre les différents ensembles est difficile pour les élèves car, pour la calculatrice, tout nombre est décimal, il est difficile de leur faire comprendre que 1/3 est différent de 0,3333333, que 2 est un rationnel, qu’il y a des nombres entre 1,4 et 1,5 … Pourtant dès le CM2, on insiste entre les fractions qui sont décimales et celles qui ne le sont pas. Il y a trop peu de temps pour faire des expériences intéressantes qui leur permettraient d’assimiler les notions de nombre décimal, rationnel, irrationnel. En terminale et premières STT, on introduit un nouvel ensemble de nombres, celui des nombres complexes. En l’arithmétique, on travaille essentiellement avec des nombres entiers, les élèves ont du mal à prendre conscience de ce fait.

Identités remarquables : Les identités sont sues, mais les élèves ont du mal à reconnaître les expressions algébriques et même parfois à en comprendre le sens (je peux simplifier (sin x)/x par x car x non nul). L’identité qui donne la somme des n premiers termes d’une suite géométrique est sans cesse utilisée en DEUG et pourtant les étudiants ne l’identifient pas. La formule du binôme de Newton n’est pas mémorisée, notre petit groupe s’interroge sur la responsabilité du formulaire distribué au Bac dans cette affaire.

Racine carrée et valeur absolue : En troisième, on apprend que si a est positif, la racine carrée du carré de a est a. Mais les hypothèses sont moins importantes que les formules (voir l’encadré en bas de la page 10 du document distribué). En seconde, on apprend que la racine carrée du carré de a est valeur absolue de a, mais ce nouveau résultat ne peut être assimilé si les élèves ne renoncent pas à l’ancienne formulation (ce phénomène ne doit pas être sous-estimé, les enseignants de DEUG connaissent bien la difficulté qu’ont les étudiants pour assimiler le théorème des accroissements finis tant qu’ils s’accrochent à l’inégalité apprise en terminale.) A cela s’ajoute la difficulté d’appréhender la notion de valeur absolue dont on propose trois approches : celle de distance, celle de la définition usuelle et celle de l’étude de la fonction. Bien sûr, il leur est difficile d’admettre que –a peut être positif. La résolution de l’équation x^2 = 9 fait apparaître de semblables difficultés.

A propos de l’utilisation des machines : Les professeurs présents font en général la guerre aux machines et à leur utilisation systématique mais souhaiteraient que les élèves apprennent à les utiliser intelligemment pour vérifier leurs résultats, pour faire des expériences qui les fassent réfléchir.

ATELIER B. Traitement des inégalités ou titre plus " valorisant " Techniques d'encadrement

Animateurs : M. Rivier et J. C. Léger (10 participants)

L'atelier a été marqué dés le début par l'étonnement des professeurs de lycée d'apprendre qu'à Orsay, au premier semestre de DEUG, on consacrait un cours magistral ou une partie de cours magistral selon les DEUG, et ceci depuis quatre ou cinq ans, aux inégalités. Auparavant on rappelait les inégalités seulement en Travaux Dirigés, mais on s'est aperçu qu'alors les étudiants ne les considéraient pas comme importantes.

En effet les inégalités vont servir très rapidement au début de l'année de DEUG comme technique essentielle dans les problèmes de limites et de continuité. A nouveau les professeurs de Terminale ont regretté le fait que le mot de continuité ne doive plus être introduit en Terminale. Et donc cette notion est nouvelle pour les étudiants.

Un professeur du secondaire a dit que, pour lui, faire un cours sur les inégalités, serait " suicidaire ". Et de fait, seuls deux enseignants du secondaire sur les dix présents prennent le temps de faire réellement un cours sur les inégalités en Première S, les autres rappelant les règles utiles au fur et à mesure des nécessités.

Les exemples pris dans certains cours magistraux de DEUG, ont été qualifiés de " pathologiques ". Mais il a été expliqué que cela était fait intentionnellement pour montrer la difficulté d'évaluer une fonction. De plus, plusieurs feuilles de travaux dirigés de DEUG ont été distribuées aux collègues de lycée où les exemples sont alors non pathologiques mais préparent à la suite du cours. Les enseignants du secondaire présents ont admis que pratiquement aucun de leurs élèves de Terminale n'arriverait à faire les exercices proposés.

Du coté des programmes des lycées, les élèves ont commencé à voir réellement les inégalités en classe de Seconde et montrent du désintérêt pour quelque chose de déjà vu. Pourtant lorsque l'on parle de " portions de tartes ", les inégalités entre fractions semblent aller de soi, mais ensuite ils ne savent plus majorer un quotient. De plus, ils sont gênés par le vocabulaire " majorer, minorer ". Malgré le fait que les professeurs les mettent en garde et leur demandent d'appliquer les règles, ils les appliquent n'importe comment sans tenir compte par exemple du signe des variables en présence.

Enfin, les professeurs de lycée présents ont tous remarqué un manque de connexion entre la vision algébrique et fonctionnelle des inégalités. Les élèves ne font pas le lien entre les variations des fonctions et les inégalités permettant d'évaluer grossièrement ces mêmes fonctions dans le but par exemple d'employer ensuite des méthodes numériques performantes. L'utilisation presque systématique des calculatrices par les élèves pour " voir " la fonction qu'ils ont à étudier avant d'en faire réellement l'étude a été déplorée. En effet, dès lors, ils manquent de motivation lorsqu'on leur demande d'encadrer des fonctions pour en déterminer des valeurs approchées !

En conclusion, les propositions pour que le lycée prépare mieux les élèves à ces techniques d'encadrement ont été :

- sur le plan global du programme, en DEUG scientifique, les deux premières années ne comprennent que de l'analyse et de l'algèbre. Il a donc été proposé de réduire en terminale le programme de géométrie de façon à passer plus de temps sur l'analyse.

- Insister beaucoup plus sur la question des inégalités et demander plus systématiquement des encadrements lors de l'étude des fonctions par exemple, de façon à ce que les élèves en voient une application immédiate.

- Faire acquérir à l'élève le réflexe " Attention danger "lorsqu'il a à manipuler des inégalités.

 

ATELIER C. Représentation décimale des nombres réels et évaluation de la " méthodologie " mise en place en S1 MIAS (environ 10 participants)

Animateurs : M. Déchamps et F. Menous, rapporteur N. Huis, Lycée Kastler de Dourdan.

Avant l’introduction des nombres complexes en terminale, les nombres réels sont, pour les élèves, " tous les nombres qu’ils connaissent ". Des distinctions entre les différents ensembles de nombres sont parfois abordées, mais il n’y a pas vraiment le temps ou le langage pour les approfondir. La représentation décimale est, à peu près, ce que l’on voit sur l’écran de la calculette, les réels ont donc tendance à se confondre avec les nombres décimaux. L’idée de représentation décimale infinie non périodique est difficile à faire admettre. L’idée qu’un même nombre peut avoir plusieurs représentations est déjà difficile à faire comprendre pour les nombres entiers ou rationnels (3 = 6 /2) et l’égalité 1,000… = 0, 999… n’est jamais abordée. Si l’on peut y revenir à l’occasion de l’étude des suites, la disparition du programme de l’énoncé " toute suite croissante majorée converge " et, par conséquent de l’étude des suites adjacentes, ne permet pas de donner un sens aux représentations décimales. L’idée que l’ensemble des nombres rationnels n’est pas complet (sans prononcer le mot !) et que l’ensemble des réels l’est, présente en 4e il y a quelques années, n’est plus vraiment abordée.

Temps d’enseignement consacré aux nombres réels : environ 3 semaines, en début de seconde. L’accent est mis sur les règles de calcul, les racines carrées, les intervalles et les encadrements. Lorsqu’on y revient dans d’autres classes, il n’y a pas de cours, par exemple, sur le maniement des inégalités, mais on distribue parfois des résumés sur ce qu’il faut savoir. Le maniement des racines est très mal maîtrisé, encore en terminale.

Méthode d’enseignement : il y a toujours un manuel, mais il est diversement utilisé par les professeurs. En général les professeurs construisent leur propre cours. Parfois les élèves se plaignent de l’absence de preuves ou justifications dans les manuels !

Analyse de l’enseignement dispensé en méthodologie en S1 MIAS, par rapport aux connaissances du secondaire.

Notions de logique, de théorie des ensembles et quantificateurs (environ 3 semaines, 24h en S1 MIAS) : au niveau ensembliste, les notions d’inclusion, d’intersection et de réunion sont utilisées dans les chapitres concernant les intervalles, les probabilités et parfois en géométrie (donc dans des situations " concrètes ", pas pour des ensembles quelconques, et ce passage pose problème en premier cycle); les quantificateurs sont totalement absents ; les élèves ont beaucoup de difficultés de raisonnement, le " si … alors … " est mal compris et mal utilisé (peut-être des souvenirs trop flous de l’utilisation en géométrie au collège ?) ; l’implication est donc mal comprise, elle pose aussi des problèmes en premier cycle universitaire ; au niveau de la preuve par récurrence, les problèmes de logique sont très présents aux deux niveaux.

Contrôle des connaissances en méthodologie : il a été estimé trop dense (2 tests, 1 QCM et deux devoirs en 1 mois) et très pénible par les enseignants (contraintes de coordination de 3 amphis et 15 groupes), mais 65% des étudiants l’ont trouvé satisfaisant.

L’ensemble des nombres réels : depuis quelques années la borne supérieure n’est plus au programme de la première année à Orsay, elle apparaît en général au semestre S4, où la notion est très mal assimilée. En CPGE et dans beaucoup d’autres universités (Toulouse, Bordeaux, P6, …) cette notion se trouve encore en première année. Puisqu’il s’agit d’une notion difficile, ne faudrait-il pas l’introduire tôt, sur des exemples simples, et y revenir plusieurs fois dans le cursus ? En S1 MIAS, c’est l’axiome des intervalles emboîtés, plus visuel et qui permet quelques preuves par dichotomie, qui est introduit. Doit-on renoncer à une introduction axiomatique des nombres réels ? Les participants semblent convaincus de la viabilité et de l’intérêt de cette introduction axiomatique.

 

Conclusion

Cette rencontre a permis des échanges fructueux au niveau de la transition secondaire-supérieur. Mais 3h ne permettent pas de se connaître, d’évoquer des changements et leurs conséquences et en même temps d’effectuer un travail pédagogique sur des documents d’enseignement et de proposer des solutions aux problèmes évoqués.

Sur la deuxième proposition donnée dans la conclusion de l’atelier B, M. Déchamps rappelle que la terminale S ne conduit pas uniquement à une filière MIAS ou SM de premier cycle et que la visualisation dans le plan et l’espace sont très utiles dans beaucoup de métiers d’aujourd’hui et nécessaires aux physiciens.

Une fiche d’évaluation individuelle de ce stage académique (fiche type de la MAFPEN, 27 questions, à répondre du moins satisfaisant (1) au plus satisfaisant (4) ) a été proposée aux collègues du secondaire à la fin de la rencontre. Parmi les 18 fiches remplies (quelques participants non inscrits non pas répondu), voici les réponses à la dernière question, " Votre appréciation générale sur la qualité du stage " :

Sans réponse : 3 ; 1 : 0 rép.; 2 : 2 réponses; 3 : 7 réponses ; 4 : 6  réponses ;

Dans la rubrique " observations " on note : regrets sur l’absence de discussions sur l’interdisciplinarité, questions jugées trop précises pour un stage si court, comment améliorer l’enseignement de terminale pour mieux préparer les élèves aux études post-bac.